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Les jours me séparant de Paris réduisent en nombre et ... j'ai une aversion sans nom pour les départs. Ca me stresse, je n'ai aucune idée du pourquoi. Au fond je dois être très routinière, la perspective de changer mes habitudes m'effraie et me rend un peu débile. Je crois aussi que je m'attache vite aux lieux, aux gens que je croise le matin, dont mon boulanger qui est persuadé que je suis polonaise et cette caissière du Liddl qui garde toujours un sachet de bonbons à côté de sa caisse. J'aime avoir des certitudes, en un sens. J'aime savoir que le pain est meilleur dans cette boulangerie en haut de ma rue qu'au Bacca qui fait l'angle. J'aime savoir que le Liddl est plus près que le Netto, mais qu'à Liddl il n'y a pas de bières. J'aime savoir que pour aller à l'école, prendre le U-bahn juste en bas de chez moi me force à changer à Alexander Platz mais en même temps, hé, il est en bas de chez moi, et quand il fait -15 le matin, je ne me pose pas 36 fois la question. J'aime savoir que lorsque je dis "okay mais juste un verre", je finis par rentrer chez moi à 10h du matin, saoule comme un militaire polonais en permission, ce qui explique peut-être pourquoi mon boulanger est si têtu à propos de ma nationalité.
Bref. Résultat, mes nerfs ont tendance à être un peu à vif, avec cette
date butoir qui se rapproche. Non pas que je n'ai pas envie de rentrer à
Paris, Paris me manque et mon chez moi riquiqui aussi. Là n'est pas la
question. L'ennui, c'est de quitter un quelque part pour un autre (cette
phrase sonnait mieux dans ma tête), de savoir que certaines choses
seront remplacées. C'est con, mais je regrette déjà le fait de ne plus
pouvoir trouver de baguettes pré-cuites aux herbes une fois rentrée en
France.
Tout ça pour dire que j'ai le flux sanguin facile dans les jours qui
précédent un départ.
Et comme continuer à jeter des livres contre mes murs n'auraient fait qu'énerver mes voisins, et que je ne suis pas sure que faire face à un conflit d'intérêt à minuit en langue teutone ne soit du meilleur effet pour mes nerfs, j'ai pris mes baskets fluo et mon Ipod customisé et je suis partie marcher dans les rues de Friedrischain,entre punks et kebab ayant l'air de cantines communistes. Dis comme ça, ça a pas l'air hyper fun mais en fait c'est vraiment bien. Les murs recouverts d'affiches de concerts à moitié arrachées par le temps / le vent / le punk mais aussi de tags colorés tels que "A riot ? Why not, I was just thinking about it", les bars à éclairages rouges où sur toutes les tables on voit au moins une Berliner Pilsner, les trottoirs dégueulasses remplis de cotillons du nouvel an qui se sont fait emprisonner par la glace récemment fondue, les corner shop et leur collection de caisses de bières, l'odeur de joint à chaque croisement de rues ... L'ambiance est assez indescriptible. Disons que c'est un peu comme si Hunter S. Thompson était pote avec Nina Hagen, et qu'ils avaient décider de tout re-décorer un matin de gueule de bois.
J'aime Berlin. C'est un endroit où il y fait bon y vivre un matin de fin
de soirée, grâce aux brunch à 7 euros et au marchés aux puces qui
pullulent ici et là.
C'est bien aussi le soir, quand on est angoissé au possible et que les
gens sont simplement assis dans un parc, en train de fumer, avant de
tremper leurs lèvres dans la bouteille de bière qu'il y a forcément à
leurs pieds.
J'aime cette ville.
Et je suis infoutue de m'en aller des endroits que j'aime, surtout lorsque la pinte y est à 2 euros.